En prendre son parti dépris

 J' ai reçu un courrier où mon correspondant écrit: «vous avez autant d'a prirori sur l'étranger, l'autre, que les militants d'extrême droite, c'est navrant pour vous. j'ai cotoyé des anars plus inspirés (notamment un prof qui m'a fait bosser sur l'extrême droite... sans doute était-il d'extrême droite alors!!!)». Ce à quoi je répondis: «Ça se rapporte à quoi exactement, cette histoire “d'a priori sur l'étranger”? C'est comme ça, un peu comme moi supputant votre droitité, ou ça repose sur l'analyse de discours précis? Là-dessus, tant mieux si vous avez cotoyé des anars inspirés, moi aussi, mais ça ne me concerne pas pour la raison simple que je ne suis pas anar, ou pas spécialement anar: si vous vous fiez à un ou deux textes où je m'affirme tel, pour information dans d'autres je me définis comme “une sorte de socialiste”, ailleurs je me prétends réactionnaire, parfois je dis que je n'ai pas d'opinion particulière, sinon peut-être une vague “sensibilité de gauche”. Et tout ça est vrai»[1]. Ça m'intrigue: j'ai pourtant le sentiment de ne pas avoir d'a priori sur «l'autre», parce que la notion de «l'autre» m'est… étrangère: tous les humains sont mes semblables. Cela dit, j'ai beaucoup d'a priori (ni, sic, d'“a prirori”) sur mes semblables. Donc, sur moi.

Contrairement à mon correspondant, je ne crois pas à la neutralité, sauf en chimie, et je laisse l'objectivité à ceux qui s'occupent d'objets. Je ne crois pas non plus aux catégories partisanes, «anarchiste», «socialiste», «libéral», «gaulliste», etc. Ça veut dire quoi ? Il y a trois ans de ça, en France on avait des «gaullistes», des «libéraux», des «sociaux-démocrates», des «républicains», des «radicaux valoisiens»; ils sont aujourd'hui tous populistes. Est-ce que leur idéologie personnelle a changé ? Non, bien sûr, ils sont aujourd'hui comme hier «pour le parti». Le parti a changé son idéologie ? La belle affaire ! Le but n'est pas de faire triompher des idées mais d'avoir le pouvoir; alors, qu'on se prétende ceci ou cela est de peu d'importance. Et pour les anarchistes ou les extrémistes de droite ou de gauche, le but n'est pas non plus d'imposer une idéologie, il s'agit seulement de se réunir pour se confirmer entre soi que vraiment la société est pourrie, faudrait changer ça. Je suis socialiste pour les points du programme socialiste qui me conviennent, progressiste dans les domaines où le progrès me semble valide, conservateur dans ceux où il me semble mieux de ne pas changer les choses, anarchiste ou libéral si l'on considère que l'anarchisme ou le libéralisme consistent à laisser chacun libre de ses décisions, et ne suis pas extrémiste parce qu'aller aux extrêmes n'est jamais une bonne solution. Et bien sûr je suis écologiste, mais ne me reconnais guère dans l'écologisme à la française.

Je crois que toute idée se galvaude quand elle entre dans un parti. Les idéologies et les partis sont les instruments d'un univers de sens où l'on croit à une causalité simple dans un monde de monades; l'écologie, la cybernétique, la sociologie, l'ethnologie, et même les sciences dites exactes nous ont appris que les choses sont autres. Quoi que j'en aie dit, je crois que les écologistes, du fait de leur idéologie de base, qui n'a pas grand chose à voir avec ce que pouvait être une idéologie jusque dans les années 1960, nous montrent la voie quant à ce que pourrait être une organisation politique moderne: régler les problèmes en amont.


La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce que «Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression» (art. 2); jusqu'au milieu du XX° siècle, les «partis» de la III° République s'attachèrent à mettre en œuvre ce projet, mais c'est tardivement, à la fin de la III° République et surtout au cours de la IV°, que les «partis» acquirent leur forme actuelle, avant existait plutôt un système d'apparentements, des associations informelles et assez peu dogmatiques. C'est du côté des socialistes que commença une réelle réunion sur base idéologique nette, cependant le premier véritable parti fut en France, en 1920, le parti communiste.

Je prétends — et je suis loin d'être le seul — que la V° République est une forme de «soviétisme républicain et libéral» — libéral au sens de (relativement) respectueux des libertés publiques, et non au sens de la doctrine politique. Une marque de la chose est la formalisation définitive des partis dans l'article 4 de sa Constitution: «Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie».


[1] Pour donner un peu de contexte, ce correspondant m'avait prié — ce que je fis — de retirer d'une des pages de mon site un passage où je lui imputais une idéologie de droite, ce qui ne lui convenait pas. Il me reprochait de faire des suppositions sans fondement…